Dans la première partie, publiée le 22 juin dernier, je vous ai présenté le contexte dans lequel j’ai fait connaissance avec ce livre et je vous l’ai résumé. J’ai commencé à vous proposer quelques perles portant sur la vision de la guerre selon Céline, au travers son personnage principal, Ferdinand Bardamu. Aujourd’hui, je vous présente d’autres perles qui portent aussi sur la guerre, et d’autres sujets .
Sur la superficialité de la guerre et de ce qu’en pensent ceux qui ne la font pas : Dans un dialogue entre Bardamu et le grand professeur de l’hôpital psychiatrique où il est interné, le Dr Bestombes. (il se fait interner volontairement pour éviter d’être tué).
« La guerre, voyez-vous, Bardamu, par les moyens incomparables qu’elle nous donne pour éprouver les systèmes nerveux, agit à la manière d’un formidable révélateur de l’Esprit humain ! Nous en avons pour des siècles à nous pencher, méditatifs, sur ces révélations pathologiques récentes, des siècles d’études passionnées. Nous ne faisions que soupçonner jusqu’ici les richesses émotives et spirituelles de l’homme ! Mais à présent, grâce à la guerre, c’est fait !...Nous pénétrons, par suite d’une effraction douloureuse certes, mais pour la science décisive et providentielle, dans leur intimité ! »…………… « Ah ! les petits soldats, remarquez-le, et dès les premières épreuves du feu, ont su se libérer spontanément de tous les sophismes et concepts accessoires, et particulièrement des sophismes de la conservation. Ils sont allés d’instinct et d’emblée se fondre avec notre véritable raison d’être, notre Patrie. Pour accéder à cette vérité, non seulement l’intelligence est superflue, Bardamu, mais elle gêne (note:sic !!) C’est une vérité du cœur, la Patrie, comme toutes les vérités essentielles, le peuple ne s’y trompe pas ! là précisément où le mauvais savant s’égare »
Je me demande si on pense encore comme cela, c’a doit être une des raisons pour lesquelles on ne peut discuter d’un ordre venant d’un supérieur, même si l’intelligence obligerait à un instant de réflexion. Véritable chair à canon que ces soldats de la première guerre !
J’imagine que vous vous dites : je ne lirai pas ce livre, car il me semble très déprimant. C’est sûr que la trame historique réelle sur laquelle repose cette première partie du roman n’est pas jo-jo !, mais l’intérêt réside dans l’analyse socio-politique de cette période que fait Céline à travers les dialogues des personnages que côtoie Ferdinand Bardamu. Je trouve cela fascinant. Les mots utilisés sont subtils, ils frappent et ciblent toujours une partie de notre intelligence émotive.
Suis la période africaine, où Bardamu se retrouve dans une région difficile pour tenter de faire du petit commerce. C’est dans cette partie que tout le racisme de Céline ressort. Incroyable un tel racisme. Quelques exemples : Ceci est la réponse que le commerçant blanc donne au paysan, venu lui porter, avec toute sa famille, le caoutchouc « naturel » pour le vendre.
« Toi, y a pas savoir argent ? Sauvage alors ? – Toi y en a pas parler « francé » dis ? Toi y en a gorille encore hein ?...Toi y en a parler quoi, hein ? Kous kous ? Mabillia ? Toi y en a couillon ! Bushman ! Plein couillon ! et c’a continue des pages et des pages……Passage obligé vers l’Amérique, où Céline emmène Bardamu, en pleine révolution industrielle.
Puis, Bardamu devient médecin et s’installe dans un petit village où il a de la difficulté à joindre les deux bouts, car ses patients ne le paient pas. Une des remarques de Bardamu à Robinson, son ami : « Mais mes clients n’y tenaient pas à ce que j’accomplisse des miracles, ils comptaient au contraire sur leur tuberculose pour se faire passer de l’état de misère absolue où ils étouffaient depuis toujours à l’état de misère relative que confèrent les pensions gouvernementales minuscules. Ils traînaient leurs crachats plus ou moins positifs de réforme en réforme depuis la guerre. Ils maigrissaient à force de fièvre soutenue par le manger peu, le vomir beaucoup, l’énormément de vin, et le travailler quand même, un jour sur trois, à vrai dire… » Je crois qu’Il y a encore de ce genre de misère, même ici. En 1984, jeune médecin, j’ai fait une visite à domicile à une famille de 4 enfants qui vivaient dans un sous sol reposant sur la terre, sans fondation. Il y a peut-être moins de misère ici qu’ailleurs, mais quelquefois je me demande si c’est plus difficile de manquer de quelque chose lorsque tu sais qu’à quelque pieds de toi, il y en a qui ont tout !?
Enfin, dernier passage du roman. C’est une réflexion de Ferdinand sur la guerre et la maladie. Ferdinand est alors responsable d’un asile, en banlieue de Paris. « Aux quelques fenêtres des réfectoires qui donnaient sur la rue les fous venaient parfois hurler et ameuter le voisinage, mais l’horreur leur restait plutôt à l’intérieur. Ils s’en occupaient et la préservaient leur horreur, personnellement, contre nos entreprises thérapeutiques (NB - à cette période, il n’y avait aucun médicament connu efficace – note de CP) c’a les passionnait cette résistance. En pensant à présent à tous ces fous que j’ai connus chez le père Baryton, je ne peux m’empêcher de mettre en doute qu’il existe d’autres véritables réalisations de nos profonds tempéraments que la guerre et la maladie, ces deux infinis du cauchemar »
Et voilà, à lire, je crois. Pour se souvenir d’où nous venons, apprécier ce que nous avons et travailler plus fort pour vaincre la pauvreté et éviter les guerres. Au moins, il n’y a plus de guerre impitoyable comme les deux guerres mondiales du XXième siècle……pour l’instant !
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