À chaque campagne électorale,
les partis politiques font des annonces dans le but d'améliorer le système de santé. Beaucoup
d'argent est injecté
dans le système, année après année. Au Canada, les dépenses totales en santé (dépenses privées et publiques) sont passées de $100 milliards à $200 milliards de 2000 à 2010, soit une
augmentation de 100% des dépenses[1].
C’est presque 5,700$ par habitant. Pourtant, beaucoup
de québécois n’ont pas encore accès à un médecin de famille, la durée moyenne des séjours à l’urgence ne diminue pas
et on attend encore beaucoup trop pour avoir accès à certaines chirurgies.
Il n’y a presque pas eu d’amélioration de la
performance du système de santé au cours des 10 dernières années.
Chaque parti annonce
que les québécois auront accès bientôt à un médecin de famille et on tente de faire des ajustements dans le système pour
diminuer les files d'attente, autant à l'urgence que pour les chirurgies.
En 2014, le gouvernement injectera $540 millions uniquement pour augmenter la rémunération des
médecins et payer les nouveaux gradués. En 2012, la rémunération des 18,000 médecins du Québec totalisait
$5,38milliards, soit $665 par habitant du Québec. Pourtant, les améliorations à l’accès au système de santé sont infinitésimales depuis
plusieurs années, malgré l'injection de milliards de dollars. Pire, plus on paye les médecins,
moins ils travaillent. « Alors que les dépenses totales liées à la rémunération des médecins, la rémunération moyenne des médecins et le coût unitaire moyen par service ont tous trois connu une hausse très rapide, la quantité totale de services, le
nombre moyen de services par personne et le nombre moyen de services par médecin pont soit stagné, soit décliné. »[2]
Chaque parti présente ses suggestions qui sont centrées sur des réorganisations la plupart
du temps structurelles, plus de soins spécialisés, plus d’hôpitaux et plus de dispensation privée. En médecine, pour appliquer
le bon traitement, il faut faire un bon diagnostic.
Mon diagnostic à moi est brutal, fruit de plus de 35 ans d’expériences et de réflexions sur le système de santé. Tant que les médecins n’auront pas de lien d’emploi avec le système de santé et tant que les médecins ne seront pas imputables de la façon dont ils utilisent les ressources mises à leur disposition par le système de
santé, les gouvernements continueront d’injecter des milliards de dollars sans que des améliorations sensibles apparaissent.
Pourquoi ?
LES MÉDECINS ET LE SYSTÈME DE SANTÉ
Je voudrais ici
rassurer le lecteur que la qualité des soins dispensés par la très grande majorité des médecins du Québec est excellente, mais contrairement à presque toutes les autres professions, ils n’ont pas de compte à rendre à personne car ils n’ont aucun lien d’emploi avec le système de santé. Les médecins québécois jouissent d’une autonomie complète dans l’organisation de leur
pratique. Ils sont des petites PME qui fonctionnent en marge du système de santé. Ils déterminent eux-mêmes leurs objectifs de
pratique, leur charge et l’organisation de leur
travail. Ils ne sont pas imputables de l’utilisation
des ressources qu’ils prescrivent à leurs patients. Un exemple :
le Dr Martin Juneau, directeur de la prévention
à l’Institut
de cardiologie de Montréal déclarait : « Les statines (médicaments prescrits pour
diminuer le cholestérol dans le sang) représentent à elles seules près de 7 % des coûts en médicaments de la Régie de l’assurance maladie du Québec, (213,6 millions $ sur 3 125,7 milliards en 2012). Or, environ 80 %
des personnes qui en prennent ne devraient pas le faire. Une petite proportion
de ces montants pourrait servir à soutenir la prévention. »[3].
Comme leur rémunération est à l’acte, les médecins vont promouvoir une pratique qui favorise les actes les plus
payants. Si c’est plus payant de suivre
et vacciner des bébés en bonne santé ou de faire de la
clinique sans rendez-vous que de coordonner l’application du plan de soins d’une
personne âgée porteuse de multiples
pathologies afin de favoriser son maintien à domicile, le médecin va continuer à vacciner et à faire de la clinique
sans rendez-vous, et transférer la personne âgée à l’urgence si des problèmes surviennent. Est-ce
que chaque québécois devrait avoir un médecin de famille attitré ? Je ne crois pas que ce soit nécessaire.
Chaque québécois devrait avoir accès à une « équipe santé » qui peut être consultée lorsqu’il y a problème. La porte d’entrée ne devrait pas être le médecin de famille, mais
une infirmière clinicienne qui
pourrait référer au médecin si nécessaire. Mais comment modifier un tel système s’il est payant pour le médecin de voir chaque patient. Dans un système où la porte d’entrée est l’infirmière clinicienne, les cas
plus compliqués seraient référés au médecin. On voit donc que le mode de rémunération actuel favorise
une organisation du travail du médecin de famille qui
donne préséance au visites
annuelles, au contrôles rapides de maladie
chroniques, au suivi de personnes en santé, ce
qui ne favorisera jamais le travail en équipe.
Alors comment justifier
investir des milliards de plus dans le système de santé si les personnes qui
sont responsables de l’utilisation de ces
ressources n’ont aucun compte à rendre sauf à leurs clients, et
ceux-ci ne peuvent pas, la plupart du temps, juger de la pertinence des
ressources utilisées pour traiter leur
problème de santé.
Imaginons une seconde
que les Ingénieurs travaillant pour Hydro
Québec soient des professionnels autonomes à l’intérieur de l’organisation ?
Je ne crois pas qu’Il y aurait lieu de chambarder tout le système d’un seul coup, mais il y
aurait place, au Québec, pour des projets
pilote de médecins qui seraient intéressés par un autre mode de rémunération et d’organisation de leur pratique.
CONCLUSION
Je fais la prédiction que si cet aspect fondamental de l’organisation des services de santé au
Québec n’est
pas modifié, dans 10 ans, les dépenses de santé représenteront plus de 60% des dépenses
du gouvernement, et il y aura autant de patients qui séjourneront à l’urgence plus de 48 heures qu’aujourd’hui.
Mais si on revient aux élections, je préfère l’équipe santé du Parti Québécois à celle du parti Libéral. Un médecin, une infirmière et une pharmacienne qui pourraient travailler ensemble (c’est peut-être un rêve !), valent mieux
que trois médecins, dont deux (Bolduc
et Barrette) qui ne peuvent se sentir et
qui sont ensemble par la volonté du chef (je me
questionne sur les raisons qui ont motivé le
Dr Couillard de faire confiance au Dr Barrette – voir une chronique précédente è ce sujet). Même si je sais que tout ce qui se fera améliorera le fonctionnement du système de
façon infinitésimale, malgré l’injection de centaines de millions de dollars.
[2] “Fee increase and
target income hypothesis : data from Quebec on physicians’compensation and
service volumes » - Damien Contandriopoulos et Mélanie Perroux, Healthcare
Policy, Vol9, no2, 2013
[3] « Les
statines : une prescription pour manger mal » - Martin Juneau –
ProfessionSanté.ca – 3 décembre 2013