LA CLAUSE SUR
L’INTERDICTION DU PORT DE SIGNES OSTENTATOIRES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
QUÉBÉCOISE – RECHERCHE D'UNE PSEUDO LAÏCITÉ CONTRE UNE AUGMENTATION DE LA XÉNOPHOBIE
Il semblerait
qu'une majorité de québécois soient en faveur de la CHARTE DE LA LAÏCITÉ
(appelons-là par ce nom, le nom officiel étant vraiment trop long !!),
incluant la clause interdisant le port de signes ostentatoires pour tous les
employés de l'état.
Depuis le
dépôt du projet de loi à l'Assemblée Nationale et depuis l’intervention du
premier groupe en commission parlementaire, le parti québécois n'a fait aucune
concession sur cette clause, malgré l'opposition de 49% de la population et
celle de groupes très sérieux, en particulier des experts en droits et libertés
des personnes. Dès le départ de cette campagne électorale, la première ministre
en fait un de ses enjeux principaux, sans laisser entrevoir la possibilité de
modifications au projet de loi. Elle dit même : « Donnez moi un gouvernement majoritaire pour que je puisse faire
adopter la Charte ». C’est clair : un vote pour le PQ, c’est un
vote pour la Charte, telle que présentée dans le projet de loi. Pour moi,
l’adoption ou non de cette clause est de loin l’enjeu fondamental le plus
important de cette présente campagne car son adoption transforme la société
dans laquelle je vis depuis plus de 60 ans en une société moins inclusive, une
société qui impose, par une loi, des obligations qui vont à l’encontre des
croyances fondamentales d’une minorité de québécoises et qui les poussent à
faire un choix entre leur religion et l’accès au travail. Je ne me retrouve
vraiment pas dans une telle société
Il me semble
qu'un bon gouvernement devrait toujours préserver les grands consensus sociaux
sauf lorsque la paix sociale est perturbée par une menace réelle. Parmi ces
grands consensus sociaux, on retrouve un ensemble de libertés qui ont été
affirmées dans la Charte des droits et libertés canadienne et québécoise.
Le Québec est
une terre française qui, au cours des 50 dernières années, s’est laissée
métisser avec l’arrivée de très nombreux immigrants. Les immigrants choisissent
le Québec pour une multitude de raisons, mais la principale, pour la majorité
d’entre eux, est l’ensemble des grandes liberté fondamentales dont jouissent
les citoyens du Canada et du Québec, et une plus grande opportunité de
« gagner leur vie ». Beaucoup le font pour s’assurer que leurs
enfants auront de meilleures opportunités qu’eux. En 2012, les données de
l’Institut de la statistique du Québec nous informent que le solde migratoire
du Québec était positif et était de 55,036 personnes. 72% de ces personnes
viennent ici dans le cadre du programme « immigration
économique » : il s’agit principalement de travailleurs qualifiés
(62%) et, dans une moindre mesure, de gens d’affaires (8%) et d’aides familiaux
(1%). À peine 8% sont des réfugiés. Les immigrants viennent donc ici d’abord
pour travailler, et ils nous apportent une expertise dont nous avons besoin,
étant donnée le vieillissement de notre population.
Les tableaux
du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles qui portent sur la
religion des immigrants québécois, nous indiquent qu’entre 2008 et 2012, entre
25 et 35% des immigrants proviennent de pays à majorité musulmane. Je ne
retiens ici que la religion musulmane car la clause sur l’interdiction du port
de signes ostentatoires vise essentiellement le voile musulman; le hidjab. En
2012, ce pourcentage est de moins de 25%. Si on utilise le chiffre
« moyen » de 30% et qu’on l’applique à 55,000 immigrants, on estime
donc qu’à-peu-près 17,000 immigrants de pays à majorité musulmane arrivent
chaque année au Québec.
D’après ce tableau de STATISTIQUES CANADA, en 2011, il
y avait 243,430 personnes qui se déclarent pratiquer la religion musulmane,
soit 3,1% de la population. On est loin de « l’envahissement du Québec par
les Musulmans ! »
QUÉBEC
|
|
|
TOTAL RELIGION
|
7 732 520
|
100,0%
|
Bouddhiste
|
52 385
|
0,7%
|
Chrétienne
|
6 356 880
|
82,2%
|
Hindoue
|
33 540
|
0,4%
|
Juive
|
85 105
|
1,1%
|
Musulmane
|
243 430
|
3,1%
|
Sikhe
|
9 275
|
0,1%
|
Spiritualité (Autochtone) Traditionnelle
|
2 025
|
0,0%
|
Autres religions
|
12 340
|
0,2%
|
Aucune appartenance religieuse
|
937 545
|
12,1%
|
Source: Enquête
nationale auprès des ménages 2011, Statistiques Canada
|
|
|
Arlindo
Vieira, qui a rédigé, en 2001, à titre de président du Conseil des relations
interculturelles, un rapport qui analysait les causes de la sous-représentation
des communautés culturelles dans la fonction publique, constate que la
représentation des minorités visibles au sein de la fonction publique n’a pas
beaucoup évolué au fil des ans, oscillant toujours autour de 2 %[1].
Statistiques Canada définit comme minorités visibles les groupes
suivants : Chinois, Sud-Asiatique, Noir, Arabe, Asiatique occidental,
Philippin, Asiatique du Sud-Est, Latino-Américain, Japonais et Coréen[2].
En 2009-2010,
il y avait 558,000 personnes dans l’ensemble de la fonction publique québécoise[3]
(incluant l’éducation et la santé). On parle donc d’environ 11,000 employés de
l’état faisant partie des minorités visibles. Selon l’enquête nationale auprès
des ménages de 2011[4],
au Québec, on comptait 850,240 personnes dites de la minorité visible, soit 11%
de la population québécoise. Les arabes en comptent 166,260, mais on a vu dans le tableau antérieur que 243,000 personnes se sont déclarées « musulmanes ». Il y a donc
plusieurs minorités visibles qui sont de religion musulmane, et beaucoup d'arabes pratiquent d'autres religions, en particulier la religion chrétienne. Donc, 29% des
minorités visibles se déclarent musulmanes. On peut alors estimer que la
fonction publique québécoise comporterait à peu près 3,200 personnes "musulmanes" (29% de 11,000). Ce chiffre inclut des hommes et des femmes, et, parmi
les femmes, les voilées et les non voilées. Khadija Darid, une experte de
la communauté musulmane québécoise, elle-même non-voilée et qui habite ici
depuis 17 ans, estime qu’environ une musulmane québécoise sur cinq porte
le foulard. Si les 3,200 postes de la fonction publique sont occupés à 50% par
des hommes et par des femmes (ce qui est très optimiste), et que seulement 1
femme sur 5 porte le voile, on en arrive donc à un maximum de 320 femmes
voilées dans l’ensemble de la fonction publique québécoise, incluant la santé
et l’éducation !
Donc, pour 320
personnes, le gouvernement du Québec, malgré le fait que 50% de la population
du Québec soit en désaccord avec cette clause, maintient le cap, et en fait une
question de principe.
On divise
toute la population québécoise pour une clause qui vise à régler des situations
qui, en fonction du nombre de personnes impliquées, n’apparaissent pas à prime
abord comme stratégiques, cruciales et problématiques. Ne devrait-on pas tenter
de régler les problèmes qui pourraient survenir en utilisant les accommodements
pour lesquels la charte décrit très bien les conditions qui devraient les
encadrer. Cette dernière clause de la Charte, elle, fait consensus partout au
Québec.
Cette ligne de pensée rigide encourage, auprès d’un certain pourcentage de la population, des comportements
offensants envers la population musulmane, les femmes voilées en particulier. Comme
j’estime que seulement 320 femmes voilées occupent des postes dans la fonction
publique, les conséquences engendrées par les discussions qui portent sur une interdiction
visant seulement 320 personnes ont des retombées sur les milliers de femmes
voilées du Québec. C’est la manifestation publique d’un sentiment xénophobe et
islamo phobe latent. Je me souviens d’un reportage de la Société Radio Canada
lors de la journée où fut présentée la charte. Le reporter interrogeait une
femme assise dans un restaurant au Saguenay. Cette dernière disait à peu près
ceci: "C'est une bonne chose, sinon
dans 10 ans, c'est nous qui serons obligés de porter le voile"!!
Symptôme de la peur de l'inconnu et de l’ignorance il va s'en dire.
L'islamophobie est en croissance au Québec depuis le dépôt de ce projet de loi.
Une partie du musée Juif de Berlin que nous avons visité en 2008 contient des
lettres écrites par des Juifs durant les années 1935-1939. L'une d'entre elles
m'avait frappée: la personne écrivait qu'elle était consciente que l'antisémitisme
était présent et latent dans la société allemande à cette époque, mais elle
était "cachée". La personne écrivait qu'ils avaient aussi beaucoup
d'amis, mais dès que le parti Nazi a promulgué une loi commençant à diminuer
les droits des Juifs, soit dit en passant pour des raisons « identitaires »,
l'antisémitisme à commencé a se manifester par des gestes de violence envers
des individus et des commerces appartenant aux Juifs. Je ne compare évidemment
pas le parti québécois au parti nazi, mais je veux exprimer par ce rappel de
l’histoire que lorsque les gouvernements, sciemment, ostracisent ouvertement
une communauté en les privant d'un droit fondamental dans une
société comme la nôtre, certaines personnes de la population en général se
sentent alors légitimés de manifester ouvertement leur racisme comme on l'a vu
assez régulièrement depuis le dépôt du projet de loi. Un gouvernement
responsable, devant de tels comportements aberrants, devrait non seulement
dénoncer ces gestes (ils le font du bout des lèvres), mais ils devraient aussi renoncer
à la clause, car elle ne fait qu'isoler une infime minorité de la population québécoise.
Sous le faux prétexte de bien encadrer le principe de la laïcité, on légitime,
sans le vouloir, des gestes exécrables envers les femmes musulmanes.
Comment
accepter que des femmes qui viennent de pays qui leur imposent des obligations
vestimentaires ou religieuses, se voient aussi imposer des
obligations vestimentaires lorsqu’elles arrivent chez nous ?
Dans son
mémoire sur le projet de loi, le Conseil du Statut de la Femme dit: « Des universitaires de renom, des
figures politiques majeures, des représentantes et des représentants de groupes
de femmes, de syndicats, d’associations, d’établissements d’enseignement et de
soins sont divisés quant à la portée à donner à cette interdiction. Pour
certaines personnes, il s’agit d’une exigence raisonnable pour les agentes et
les agents de l’État, comme corollaire de leur devoir de réserve et de leur
obligation de neutralité religieuse pour garantir la neutralité de l’État et
des services publics, tandis que pour d’autres, il s’agit d’une limitation
injustifiée à la liberté fondamentale de croyance et à l’accès au
travail. »
En ne faisant
pas de compromis, et en n’appuyant que sa propre thèse, le gouvernement
québécois ne fait en sorte que promouvoir le sentiment identitaire nationaliste
nécessaire à consolider sa base électorale.
Pourtant, le
Conseil du statut de la femme a proposé plusieurs pistes de solution qui
pourraient servir de compromis acceptable aux yeux de plusieurs. J’encourage
d’ailleurs les lecteurs à lire ce mémoire des plus intéressants (http://www.csf.gouv.qc.ca/). Parmi ces
solutions, le Conseil propose d’abord la tenue d’études scientifiques sur les
effets concrets de la prohibition envisagée dans certains domaines d’emploi du
gouvernement. Ces études pourraient éclairer la réflexion étatique et favoriser
l’obtention d’un consensus social. Il n'y a pas d'urgence, pourquoi ne pas bien préciser les impacts qu'aurait l'application d'une telle loi sur les personnes qui en subiraient les conséquences?
Dommage, la
Charte dans son ensemble fait l’objet d’un immense consensus ; seule la
clause sur l’interdiction du port des signes ostentatoires par les employés de
la fonction publique divise farouchement les québécois en deux camps.
Je
souhaite continuer de vivre dans la société actuelle, celle qui est inclusive,
accueillante, harmonieuse et qui utilise des critères qui font consensus pour
accommoder une minorité d’immigrants qui souhaitent certains changements ponctuels
à nos us et coutumes plutôt qu’une société restrictive et xénophobe qui isole
certaines catégories de personnes immigrantes en faveur d’une pseudo laïcité qui se
manifeste beaucoup plus par des attitudes, des gestes et des paroles que par le
port de signes religieux.
[3] ENAP – L’état québécois en perspective, L’effectif public total -
l’Observatoire de l’administration publique, automne 2012
[4] http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/dp-pd/dt-td/Rp-fra.cfm?TABID=1&LANG=F&A=R&APATH=3&DETAIL=0&DIM=0&FL=A&FREE=0&GC=0&GID=1118301&GK=0&GRP=0&O=D&PID=105395&PRID=0&PTYPE=105277&S=0&SHOWALL=0&SUB=0&Temporal=2013&THEME=95&VID=0&VNAMEE=&VNAMEF=&D1=0&D2=0&D3=0&D4=0&D5=0&D6=0
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire