Lorsque j’étais petit, et je vous parle ici de très petit, 5-6 ans, j’aimais aller chez ma grand-mère, la mère de ma mère. Elle demeurait dans une grande maison sur la rue Sherbrooke, en face du parc Lafontaine, et juste à côté de l’immense bibliothèque municipale, la bibliothèque Saint Sulpice.
Cet édifice avec une façade décorée de dix colonnes grecques avec chapiteaux de type ioniques, et un intérieur spacieux et vaste, me fascinait. Imaginez vous petit garçon ou petite fille entrer dans un tel édifice! Cette bibliothèque est un des joyaux de l’architecture Beaux-arts à Montréal. L’ouverture de la Grande Bibliothèque a entraîné la fermeture de cet édifice patrimonial qui s’est vu privé d’usage. Pour ceux de ma génération, c’est sur le parvis de cette bibliothèque que les dignitaires qui assistaient à la parade de la Saint-Jean Baptiste en 1968, dont Pierre-Elliott Trudeau, ont été la cible des objets lancés par les manifestants indépendantistes. Pierre-Elliott Trudeau avait d’ailleurs gagné ses premières élections fédérales en partie à cause du capital de sympathie qu’il s’était fait en demeurant sur le balcon de la bibliothèque et en confrontant les manifestants. Les policiers avaient été particulièrement sévères lors de cette manifestation. Je me rappelle avoir vu des policiers charger la foule sur leurs chevaux. J’ai assisté et vu à ces évènements car toute la famille se retrouvait sur le balcon de ma grand-mère pour assister à toutes les parades de la Saint-Jean Baptiste. si mes souvenirs sont exacts, les parades de la Saint-Jean Baptistes changèrent après ces évènements.
Ma grand-mère adorait lire et dès que je pus obtenir ma carte d’abonnement à la bibliothèque de Montréal, elle m’y amena pour m’y inscrire. J’y suis allé à presque toutes les fins de semaine, pour y rapporter les livres que j’avais empruntés, et pour en emprunter de nouveaux. Avec la chance de manger tous les chocolats Laura Secord qui trainaient partout dans sa maison, la visite de la bibliothèque municipale avec ma grand-mère est un de mes grands souvenirs d’enfance.
J’ai toujours conservé ce plaisir de me perdre dans une bibliothèque et d’y faire des découvertes de lecture au fur et à mesure de mes déambulements dans les allées. Un de mes grands copains a aussi ce « passe-temps ». La retraite est extraordinaire pour cela: on a le temps!!
Alors dernièrement, en me promenant dans les allées de la bibliothèque qui est la plus près de chez moi, mais qui n’a certes pas l’envergure de la bibliothèque Saint-Sulpice, je suis tombé sur la biographie de Zola par Henri Troyat. J’avais déjà découvert cet auteur il y a plusieurs années, en 1989, en lisant « La gouvernante française ». En plus de l’histoire, j’avais adoré son style littéraire fluide, ses phrases simples et courtes et ses mots précis. Or j’avais détesté la lecture de Zola au collège. J’avais détesté, non pas à cause de l’auteur lui-même, mais à cause de la façon dont notre professeur de littérature française nous obligeait à lire. En effet, afin de s’assurer que nous lisions tous le roman suggéré, il nous demandait de créer un tableau où, pour chaque chapitre, nous avions à identifier les personnages et leurs relations les uns les autres. Je me rappelle avoir fait cela aussi avec le « Rouge et le Noir » de Stendhal. Trouvez moi une façon de décourager des jeunes à lire : plus bête que c’a, tu meurrs!
Enfin, mon goût de la lecture me provenait de ma grand-mère et ces anecdotes désagréables ne m’ont pas empêché de lire. Je regrette seulement de ne pas avoir eu la possibilité d’apprécier les auteurs de la fin du XIXième siècle à cette époque, qui étaient le programme de cette année académique : les Belles Lettres (secondaire 5 aujourd’hui).
En prenant cette bibliographie dans mes mains, j’ai eu le goût de la lire. J’ai été attiré par le sérieux exprimé dans ce portrait de Zola qui en orne la couverture. Et quelle belle rencontre ! D’abord quel auteur prolifique. Il laisse derrière lui une œuvre monumentale dont les principaux romans, ceux qui l’ont véritablement emmené à la gloire sont des « épisodes » de sa célèbre saga de 20 livres sur la famille des « Rougon-Macquart »: « Nana », qui décrit les splendeurs et les misères d’une courtisane, « Germinal », son roman le plus célèbre, que nous avons tous lu au collège, qui est l’histoire d’un mineur, mais qui décrit toute l’horreur des conditions de travail des mineurs dans les mines de charbon à cette époque, « La «Terre », qui décrit les conditions de vie des agriculteurs, « L’assommoir », qui décrit la misère du peuple des ouvriers-artisans de Paris, « La Bête Humaine », où Zola cherche à comprendre les effets de l’hérédité et du milieu sur une famille.
La biographie de Troyat nous présente d’une façon claire, à travers la vie de Zola, l’histoire de la fin du dix-neuvième siècle en France, qui correspond à la fin du second Empire. On réalise, à mon humble avis, en lisant la biographie, que la révolution française de 1789 n’avait pas changé grand-chose aux conditions de vie du « petit peuple », sauf remplacer la royauté par la classe des nobles qui s’accrochaient à la suite de Napoléon II et la nouvelle classe des bourgeois, qui ne partageait pas leur richesse (tiens, tiens, y aurait-il encore aujourd’hui des gens qui pensent comme c’a!!??). Cette biographie nous présente et décrit aussi la grande amitié qui liait Zola avec d’autres artistes qui ont marqué l’histoire de la peinture (Manet et Cézanne) et de la littérature française (Flaubert, Maupassant, Edmond de Goncourt et Alphonse Daudet). À travers cette œuvre impressionnante qui l’a rendu riche, Zola fait figure d’un révolté perpétuel. Il a défendu la cause des ouvriers et du petit peuple. On retiendra aussi le grand courage qui l’a animé lorsqu’il a pris la défense de Dreyfus, ce jeune commandant juif accusé d’espionnage par l’élite militaire française, en publiant un manifeste intitulé : « J’accuse ». Ce manifeste lui a causé beaucoup de problèmes en France, a polarisé l’opinion publique française contre lui, lui a créé beaucoup d’ennemis et l’a obligé à s’expatrier en Angleterre pour échapper à la prison, ayant dû subir un procès « bidon », et pour échapper aussi aux injures et aux menaces qu’il a reçues. La description faite par Troyat des impressions de Zola sur l’Angleterre vaut à elle seule la lecture du livre!
C’est un très bon livre qui se lit comme un polar. Contrairement au polar cependant, on reste avec une connaissance beaucoup plus approfondie d’une époque et d’un personnage plus grand que nature.
Titre : ZOLA, par Henri Troyat, Grandes Biographies Flammarion, 1992
Livres de Zola recommandés dans « les 1001 livres – ce qu’il faut avoir lu dans sa vie » aux éditions du Trécarré : L’assommoir, La Bête humaine, Germinal, Nana et Thérèse Raquin
Livres de Zola recommandés dans le livre « La bibliothèque idéale » de Bernard Pivot : Nana, La faute de l’abbé Mouret, Carnets d’enquête, Correspondance (note : il en eu une énorme, à la lecture du livre de Troyat; il écrivait tout le temps), Germinal et La Terre.
Livre de Troyat recommandés dans « les 1001 livres – ce qu’il faut avoir lu dans sa vie » aux éditions du Trécarré : « Les semailles et les moissons »
Livres de Troyat recommandés dans le livre « La bibliothèque idéale » de Bernard Pivot : « Tchekov » et « Catherine La Grande »
Note : Troyat était d’origine russe, ses parents ayant fuit la Russie lors de la révolution de 1917. Il a écrit plusieurs bibliographies de personnages russes, dont Pierre Le Grand et Catherine la grande. Je vais lire bientôt sa bibliographie de Pierre Le Grand, je vous en reparlerai.