J'ai fait parvenir cette opinion qui porte sur le projet de loi 20 du ministre Barrette au journal la Presse le 8 janvier dernier. Contrairement à l'article précédent, le Journal m'a suggéré une version écourtée de 600 mots. Ils m'ont permis de leur suggérer ma propre version de l'opinion en 600-630 mots, ce que j'ai fait.
Le premier texte est la version originale, le deuxième, la version écourtée. Je publierai sur mon blogue la version qui aura été imprimée
VERSION ORIGINALE
PROJET DE LOI 20 – UNE RÉFORME IMPORTANTE FONDÉE SUR LA
RESPONSABILITÉ
SOCIALE DES MÉDECINS
Le projet de loi 20 constitue une réforme en profondeur de
l’organisation
des services de santé car il fonde l’organisation du travail des médecins sur leur responsabilité sociale et sur un
processus de reddition de comptes. En effet, tous les médecins de famille
devront prendre en charge un nombre minimal de patients et leur assurer un
suivi adéquat
au risque de s'exposer à des pénalités financières; il en va de même de certaines spécialités médicales qui devront être davantage disponibles
pour répondre
aux demandes de consultation en provenance des médecins de famille. Ce
projet de loi représente une véritable révolution pour les médecins et explique la
vigueur de l’opposition
de plusieurs d’entre
eux.
En 1995, l’Organisation mondiale
de la Santé
a officiellement défini la responsabilité sociale des médecins[1] : « Il
est de l’obligation des médecins de répondre
aux besoins prioritaires en matière de santé des collectivités qu’ils
desservent. Cette définition met en évidence le fait que le rôle
joué par les médecins pour combler les lacunes
dans la prestation des soins et l’état de santé (des collectivités) est
central à la profession. »
Or au Québec, malgré l'augmentation significative
du nombre de médecins
depuis 2008 (17,3% au 31 mars 2014[2]),
une partie encore trop importante de la population n'a pas accès à un médecin de famille et
attend beaucoup trop longtemps avant d'être vue en consultation par un médecin spécialiste. Comment
expliquer ces faits ?
Depuis l'instauration du régime d’Assurance Maladie en
1970, les médecins
jouissent d'une très grande liberté professionnelle qui déborde largement du
cadre de ce qu’on
associe normalement au concept d’autonomie professionnelle. Tout en étant payés entièrement par l’État et ayant une
clientèle
assurée,
ils ont le statut d’entrepreneurs autonomes sans lien d’emploi avec les
organisations au sein desquelles ils travaillent. Ils choisissent eux-mêmes les secteurs
cliniques dans lesquels ils pratiquent et les clientèles qu’ils traitent. Ils déterminent eux mêmes leurs conditions
de travail, leurs horaires, leurs vacances et leurs congés. Cette liberté, associée aux incitatifs inhérents à la rémunération à l’acte et à la hausse
substantielle du revenu moyen brut des médecins au Québec depuis 2008 (37% à $309,689[3]),
a entraîné une diminution
importante du nombre moyen de jours travaillés dans une année (117 jours) soit 19,2
jours de moins pour un médecin de famille de 1999 à 2012[4].
C'est la situation que le ministre Barrette tente de corriger.
La fédération des omnipraticiens (FMOQ) et plusieurs
médecins
de famille réagissent
actuellement très
négativement
au projet de loi. Dans une publicité largement diffusée, ils soutiennent qu’ils devront dorénavant travailler à la chaîne, que les patients ne
seront que des numéros, que les quotas sont irréalistes, que le
projet de loi favorise la quantité de patients au détriment de la qualité, etc... Est-ce donc
là
le lot de 40%[5] d’entre eux qui prennent actuellement en charge un
nombre plus élevé de patients que le
nombre minimal suggéré dans le projet de loi ? La FMOQ ne craint-elle
pas plutôt
l'atteinte à
la liberté
professionnelle de ses membres ? Or c'est justement cette liberté professionnelle qui
a engendré
la situation actuelle. La pratique de la profession doit dorénavant être mieux encadrée.
L'expérience des 45 dernières années au Québec a démontré que dans la
poursuite de ses objectifs de santé prioritaires, le Ministre de la Santé ne peut réussir uniquement par
des incitatifs financiers à coordonner le travail de professionnels
autonomes payés
à
100% par l’État,
dans un contexte de rémunération à l’acte. Il doit dorénavant fixer les
objectifs à
atteindre et imposer des pénalités lorsque les médecins ne participent
pas à
l’atteinte
des objectifs de santé qu’il a fixés : c’est la base même du nouveau contrat
social entre l’État
et les Médecins
et l’enjeu
principal de ce projet de loi 20.
Cependant, le Ministre devrait dès maintenant calmer
le jeu en faisant d'abord amende honorable envers les médecins de famille, et
en affirmant sa foi dans leur rôle, lui qui, lorsqu'il était président de la Fédération des Médecins Spécialistes, a manifesté à quelques reprises un
certain mépris
pour cette spécialité de la médecine.
Le ministre devrait également sans tarder proposer
des accommodements applicables à ceux qui consacrent la majorité de leur pratique à des secteurs
prioritaires de notre système de santé comme entre autres,
l’enseignement,
l'obstétrique,
la santé
mentale, les soins aux personnes âgées porteuses de pathologies débilitantes, les soins
palliatifs, les tâches
administratives importantes au sein du réseau public, etc. Les droits et privilèges relatifs aux congés de maternité et parentaux
devraient être
les mêmes
que ceux des autres professionnels des différents réseaux publics du Québec et non pas être définis par les médecins eux-mêmes. Finalement, les
modalités
concernant le calcul du « taux d’assiduité » des patients devraient également être rapidement précisées; l’incertitude entourant
cette partie du projet de loi soulève beaucoup de résistance. Ces
assouplissements et ces précisions rendraient sans doute le projet de loi
plus acceptable pour la majorité des médecins.
Claude Poirier, MD, M.Sc.
Ex Directeur des services professionnels du
CHUQ
Chargé d’enseignement clinique, Faculté de médecine, Université Laval
[1] Boelen C, Heck JE. Defining and measuring social accountability of medical
schools. Genève, Suisse: Organisation mondiale de la Santé; 1995.
[2] Rapports annuels du Collège des
Médecins 2008 et 2014
[3] Huffington Post, 10 décembre
2014
[4] RAMQ
VERSION ÉCOURTÉE
PROJET DE LOI 20 – UN APPEL À LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES MÉDECINS
Ce projet de loi fonde l’organisation du
travail des médecins
sur leur responsabilité sociale et il introduit un processus de reddition de
comptes. C’est
une véritable
révolution
et cela explique la vigueur de l’opposition de plusieurs d’entre eux.
La responsabilité sociale des médecins a été définie par l’OMS en 2005 : « C’est l’obligation des médecins de répondre
aux besoins prioritaires en matière de santé des collectivités qu’ils
desservent. Ce rôle est central à la profession. » [1]
Or au Québec, malgré l'augmentation significative
du nombre de médecins
depuis 2008 (17,3% depuis 2008)[2],
une partie encore trop importante de la population n'a pas accès à un médecin de famille et
attend beaucoup trop longtemps avant d'être vue en consultation par un spécialiste. Comment
expliquer cela ?
Depuis 1970, les médecins jouissent
d'une très
grande liberté
professionnelle. Tout en étant payés entièrement par l’État et ayant une
clientèle
assurée,
ils ont le statut d’entrepreneurs autonomes au sein des organisations dans
lesquelles ils travaillent. Ils choisissent les secteurs cliniques et les
clientèles
qu’ils
désirent
traiter. Ils déterminent
eux mêmes
leurs conditions de travail, leurs horaires, leurs vacances et leurs congés. Cette liberté, associée à la hausse
substantielle du revenu moyen brut des médecins au Québec depuis 2008 (37% à $309,689[3]),
a entraîné une diminution
importante du nombre moyen de jours travaillés dans une année[4].
C'est la situation que le ministre Barrette tente de corriger.
La fédération des omnipraticiens (FMOQ) et plusieurs
médecins
de famille réagissent
actuellement très
négativement
au projet de loi. Pourtant, 40%[5]
d’entre eux prennent actuellement en charge un nombre
plus élevé de patients que le
nombre maximal suggéré dans le projet de loi. La FMOQ ne craint-elle
pas plutôt
l'atteinte à
la liberté
professionnelle de ses membres ? Or c'est justement cette liberté professionnelle qui
a engendré
la situation actuelle. La pratique de la profession doit dorénavant être mieux encadrée.
L'expérience des 45 dernières années au Québec a démontré que dans la
poursuite de ses objectifs de santé prioritaires, le Ministre de la Santé ne peut réussir uniquement par
des incitatifs financiers à coordonner le travail de professionnels
autonomes payés
à
100% par l’État,
dans un contexte de rémunération à l’acte. Il doit dorénavant fixer les
objectifs à
atteindre et imposer des pénalités lorsque les médecins ne participent
pas à
l’atteinte
des objectifs de santé qu’il a fixés : c’est la base même du nouveau contrat
social entre l’État
et les Médecins
et l’enjeu
principal de ce projet de loi 20.
Cependant, le Ministre devrait dès maintenant calmer
le jeu en faisant d'abord amende honorable envers les médecins de famille, et
en affirmant sa foi dans leur rôle, lui qui, lorsqu'il était président de la Fédération des Médecins Spécialistes, a manifesté à quelques reprises un
certain mépris
pour cette spécialité de la médecine.
Le ministre devrait également sans tarder proposer
des accommodements applicables à ceux qui consacrent la majorité de leur pratique à des secteurs
prioritaires de notre système de santé comme entre autres, la
santé
mentale, les soins aux personnes âgées, les soins palliatifs, l’enseignement, etc. Les
modalités
concernant le calcul du « taux d’assiduité » des patients devraient également être rapidement précisées; l’incertitude entourant
cette partie du projet de loi soulève beaucoup d’inquiétudes. Ces
assouplissements et ces précisions rendraient sans doute le projet de loi
plus acceptable pour la majorité des médecins.
Claude Poirier, MD, M.Sc.
Ex Directeur des services professionnels du
CHUQ
Chargé d’enseignement clinique, Faculté de médecine, Université Laval
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