Évidemment, je ne pouvais pas ne pas faire une chronique sur cette affaire qui, disons le, est presque sans précédent. Mais avant de la publier, je désirais trouver une façon non pas d’y apporter quelque élément nouveau : tout a été dit sur ce sujet et même, tout a été trop dit sur ce sujet. Ce que je retiens le plus de cette affaire est la différence considérable avec laquelle les deux pays impliqués, les États-Unis et la France, traitent de cette question. Ce que je veux exprimer comme opinion « originale » dans cette chronique est le fait que j’espère que les femmes françaises utiliseront cet évènement pour franchir une autre étape vers la criminalisation des agressions sexuelles, quel que soit le résultat du procès de DSK. Son affaire sera en quelque sorte le catalyseur d’un changement probable.
C’est triste de voir un homme puissant débouler aussi rapidement du sommet de son socle. Ce qui est plus triste encore, c’est de constater la différence avec laquelle les médias français et les médias américains traitent de cette affaire. En France, c'est presque l'indifférence lorsqu'on rapporte les sentiments des français envers la femme de chambre; on dirait même de plus qu'ils ont du ressentiment envers elle car son histoire élimine presque sûrement DSK du poste de candidat socialiste à la présidence de la France. Les américains ne connaissent pas le bonhomme et il est traité comme n’importe qui. Nous savons de plus qu'aux États-Unis, qui que ce soit qui eut été dans cette chambre du Sofitel aurait eu le même traitement.
Le traitement des affaires de moralité sexuelle non violente est un peu exagéré aux États-Unis. C'est la faute des politiciens car beaucoup, pour séduire l'électorat républicain religieux conservateur, mettent de l’avant l’importance de la vie familiale lors de leur campagne électorale. Aucun de ces politiciens ne peut survivre à une liaison adultère publicisée. Ces gens-là trompent en fait leur électorat. C'est une question d’hypocrisie. Au Canada et au Québec, les relations adultères d’un politicien n’intéressent personne. René Lévesque en a été l’exemple le plus probant. Tous savaient que c’était un séducteur invétéré, mais on considérait que c’était sa vie privée. Ici, on fait la différence entre la vie publique et la vie privée.
Mais ce qui est semblable tant aux États-Unis qu’au Canada, c’est la façon dont on traite les agressions sexuelles. On ne traite pas de la même façon un séducteur qu’un agresseur. Ce sont deux choses différentes. Au Canada et aux États-Unis, c’est maintenant tolérance zéro pour les agresssions sexuelles, grâce à toutes les femmes qui ont eu le courage de porter plainte en dénonçant leur agresseur. Au début, ce fut difficile car ces femmes devaient le plus souvent se défendre de ne pas avoir "provoqué" l’agression. Aujourd’hui, ce n’est pas encore facile, mais au Canada, les femmes n’ont plus à prouver qu’elles avaient une moralité sans faille avant l’agression. Ce n’est pas parce que tu es une prostituée qu’un homme a le droit de t’agresser sexuellement! J'apprends qu'à New York, c'est la même chose.
En France, c’est une toute autre affaire. Je suis toujours sidéré de voir à quel point les publicités sont sexistes lorsque nous y voyageons. Beaucoup des publicités affichées le long des routes et celles qui sont vues à la télévision ne pourraient être affichées ou projetées ici. La relation des français avec leurs femmes est différente d’ici : pour beaucoup de français, la femme est encore une "femme objet".
Dans la Presse du 17 mai dernier, Patrick Lagacé publiait des extraits d’un livre écrit par deux journalistes français en 2006 et qui porte sur les mœurs politiques françaises. Je suis d’accord avec ce qui est rapporté. Il écrit : « Ce que les auteurs décrivent, surtout, c'est un climat de tolérance extrême pour les dérapages sexuels des politiciens français. Un climat où les flics, sur ordre de leurs maîtres politiques, ferment les yeux quand ils surprennent un haut placé dans une position compromettante de nature potentiellement criminelle ».
Il y a une grande différence entre une relation adultère et une agression sexuelle! La première est basée sur une relation consensuelle entre deux adultes; si elle déplaît à certains, elle n’est certes pas criminelle. La deuxième est exclusivement une relation de pouvoir entre l’homme agresseur et sa victime et n’a rien à voir avec le sexe. L’homme veut posséder cet « objet » qui est en face de lui parce qu’il en a envie et qu’il se sent la puissance de le faire, même si cet « objet » ne veut pas. Lysiane Gagnon l’écrit bien dans La Presse du 17 mai : « il y a des hommes à qui le pouvoir et la richesse ont fait croire que tout leur était permis... ».
À l’instar de Patrick Lagacé et d’Alain Dubuc (La Presse du 20 mai), je crois qu’en France, les personnes importantes peuvent échapper à des comportements sexuels qui sont criminels, avec la complicité des autorités et des journalistes. J’en rajoute, je dirais que c’est parce qu’en France, pour plusieurs, on croit encore que la femme est celle qui provoque. Si DSK avait eu son impulsion en France, je ne crois pas que c’a aurait pris toute l’Importance que c’a prend aux États-Unis. Imaginez : comment une immigrante africaine de 32 ans qui est femme de chambre peut accuser le président de la banque mondiale et futur président de France? On sacrifie la femme de chambre. La révolution française n’a pas encore réussi, après 221 ans, à faire en sorte que tous sont égaux devant la loi, lorsqu’on parle de crimes sexuels.
Voici ce que va rapporter une étude qui sera publiée prochainement dans Psychological Science : « Researchers found that the higher men — or women — rose in a business hierarchy, the more likely they were to consider or commit adultery. With power comes both opportunity and confidence, the authors argue, and with confidence comes a sense of sexual entitlement. If fame and power make sex more constantly available, the evolutionary biologists explain, it may weaken the mechanisms of self-restraint and erode the layers of socialization that we impose on teenage boys and hope they eventually internalize. » (http://www.time.com/time/world/article/0,8599,2072527,00.html#ixzz1NJMspk2b)
Dans son article de la revue Time Magazine du 19 mai, Nancy Gibbs en rajoute : « We know that powerful men can be powerfully reckless, particularly when, like DSK, they stand at the brink of their grandest achievement. They tend to be risk takers or at least assess risk differently — as do narcissists who come to believe that ordinary rules don't apply. They are often surrounded by enablers with a personal or political interest in protecting them to the point of covering up their follies, indiscretions and crimes. » (http://www.time.com/time/world/article/0,8599,2072527,00.html#ixzz1NJQ4hAx5)
On peut facilement imaginer le désarroi dans lequel se retrouvent les personnes qui avaient placé tous leur intérêt dans l’élection de DSK au poste de président de la France. Ces personnes ont intérêt à protéger leur poulain.
Malheureusement pour lui, DSK a exercé son impulsion dans un pays « où la culture politique, judiciaire et médiatique est l'exact contraire de celle de la douce France. « (Lagacé, La Presse 17 mai)
Je prédis d’abord qu’au cours de cette affaire, on va voir apparaître en public une multitude de femmes qui ont eu des relations « particulières » avec DSK, car il est très probable que ce n’est pas la première fois qu’il a eu ces pulsions (on vient d’en connaître une, justement, et le Time de cette semaine en rapporte d’autres). Je prédis aussi que cette affaire va déclencher, pour une fois, un vrai débat en France sur l’importance d’avoir une politique de tolérance zéro pour tout ce qui concerne le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle. À peine 10% des femmes violées font une plainte en France, selon un reportage de TF2 entendu dernièrement. Elle est terminée, l'époque où l'on mettait la brutalité sexuelle sur le compte d'un excès de virilité, où l'on trouvait normal qu'un homme de pouvoir puisse traiter impunément les femmes comme des objets sexuels. La France aura perdu son premier choix au repêchage pour la course à la présidence, mais elle gagnera en moralité.