Louise Arbour, que presque
tous les canadiens et québécois admirent pour sa très grande carrière et son
implication dans la cause des droits de l'homme, vient de publier un article
marquant dans La Presse d'aujourd'hui (8 octobre 2015), à 11 jours des élections
canadiennes.
Je ne cacherai pas mon
exaspération devant la position de notre premier ministre sur la question
du Niqab. Non seulement mon exaspération mais mon indignation. Cet individu
croit mordicus à des principes religieux chrétiens qui influencent sa
philosophie politique. Il le dit lui-même dans son autobiographie que toute sa
vie a été influencée par ses croyances religieuses. Mais lorsque vient le temps
pour une personne d’une autre religion d’affirmer ses croyances par le port
d’un vêtement, non seulement il le dénonce mais il l’utilise comme objet de
promotion électorale. Jean Chrétien disait clairement que le devoir d’un
gouvernement est de protéger les minorités et non de gouverner en fonction des
sondages. Madame Harbour, dans son article d’aujourd’hui, ne peut pas être plus
claire:
"Devenir
Canadienne en affirmant son individualité ne devrait pas être compris
comme un geste de mépris, bien au contraire. Mise à part la
question technique de l’identité de la personne, qui ne se pose pas, c’est
plutôt un geste de confiance dans l’acceptation de la différence qui a
toujours fait la réputation du Canada comme terre d’accueil. Les femmes
qui se vêtent en conformité avec leurs croyances religieuses peuvent
nous surprendre et même nous choquer. Mais nous devrions être plus
préoccupés par les hommes qui les frappent dans la rue. Car eux
représentent une menace réelle pour chacune d’entre nous et leurs actions
lâches ne sont protégées par aucun droit ni aucune valeur."
D’ailleurs, Andrew Coyne, un
journaliste du National Post, avec lequel je ne suis pas souvent d’accord, a
abordé cette question d’une toute autre façon le 30 septembre dernier :
Il abordait la question du
port du Niqab comme l’expression même d’une société dite « libérale ».
C’est vraiment comment tous les canadiens se définissent depuis 125 ans.
Il écrit :
« It
should not need restating, but perhaps it does: in a liberal society, it is not
sufficient to restrict another’s rights that their behaviour or dress or custom
is off-putting to you, or that you find their beliefs abhorrent, or that they
and their kind make you feel ill at ease. You are free to think those things,
and to say them; but unless they have violated your rights you are not free to
limit theirs. Absent some identifiable harm — and the critics have yet to
identify any specific harm to themselves or anyone arising from the swearing of
an oath under a veil — there is no basis in Canadian law to ban the niqab, at
citizenship ceremonies or elsewhere. »
« A
liberal society is pluralist, not relativist. It allows each of us to pursue
our vision of the good life, to hold and espouse our ideals of what is just,
without prejudice to the notion that goodness and justice exist: indeed,
precisely so that we may more nearly approach them as a society. Neither is a
liberal society incompatible with the idea of cultural norms: beliefs that are
commonly shared, practices that are commonly observed. It draws the line only
at enforcing these norms upon the unwilling. »
Voilà!
Au moins, deux aspirants
premiers ministres se tiennent debout devant cette triste utilisation du
comportement d’une infime minorité de femmes auxquelles on attribue toutes
sortes de justifications pour le port de ce morceau de vêtement (soumission au
mari, religion moyen âgeuse, etc..), et ceci, sans leur demander leur avis.
C’est comme si ces femmes ne pouvaient pas d’elles-mêmes décider de le porter.
Comme le dit si bien madame Arbour :
« Comme si l’islam avait le monopole de l’inégalité
envers les femmes. »!!!!! (J’ajoute les points d’exclamation).
Elle continue :
« Mais
soyons clairs : il nous est plus facile de défendre la liberté
d’expression, comme dans le cas de Charlie Hebdo, quand son contenu
ne nous dérange pas beaucoup. »
Autrement dit, lorsque des
caricaturistes dessinent le prophète Mohamed, on croit que c’est correct au nom
de la liberté d’expression, mais lorsqu’une musulmane porte le Niqab, elle ne
peut le faire. Ca nous dérange, alors bannissons-le. Imaginez-vous dans quelle
société nous vivrions si le gouvernement avait décidé, à chaque fois que
quelque chose dérange une majorité de la population et pourtant ne la brime pas
dans l’exercice de ses droits, d’empêcher cette personne ou ce groupe d’exercer
ses droits constitutionnels. Nous nous retrouverions dans une société sans
droits fondamentaux.
Je crois que Tom Mulcair a
raison. Le comportement de Stephen Harper dans ce dossier est indigne de la
position d’un premier ministre, et si les québécois permettent sa réélection à
cause de cette anecdote, nous aurons ce que nous méritons : une société où
nos droits fondamentaux seront à la merci d’un gouvernement qui décidera
lesquels sont acceptables pour la majorité de la population. Il est encore
temps pour les canadiens et surtout les québécois, de prendre acte de cet acte
d’agression impardonnable envers une minorité par un premier ministre. Je ne
peux que l’espérer.