LE BONHEUR
« Papa, est-ce que tu as un adaptateur
pour tablette électronique dans ton auto ? »
Mon fils est assis à ma droite.
Lui et moi sommes dans un « road
trip », mais pas le « road trip » habituel, voyage habituellement
sans destination prédéterminée; nous sommes dans un « road
trip » père-fils de golf, quelque part entre Tadoussac et Baie-Comeau,
notre destination.
« Oui, il y en a un dans la boîte à
gants. »
Il branche alors sa tablette sur l’adaptateur
et me demande : « Quelle sorte de musique veux-tu
entendre ? »
« Du Rock, mon gars, du bon Rock ».
Il fait beau, les paysages sont jolis, sans être superbes, et le projet a bien
commencé, avec quatre jours de golf à La Malbaie.
Quelque part, dans la stratosphère de
l’internet, il va chercher quelques pièces « de mon temps », comme il
dit. J’ai droit à du Sting (« Fields of gold » et « If I ever
loose my faith in you, ma préférée), U2 (« With or without you »), Bruce
Springsteen (« Secret Garden »), Etta James (« What’s going on »),
Marvin Gaye (« What’s going on »), Prince (« Lolita »),
Stevie Wonder (« You are the sunshine of my life »). Je lui fait même
découvrir quelques pièces en français, en particulier Dany Bédard (Y’a du
monde) et Inna Modja ( !!). On joue aussi quelques pièces de Daniel
Bélanger, Luce Dufault, Térez Montcalm. On chante ensemble, on sourit beaucoup.
« Maususse qu’il est bon ton système de
son, papa !! »
Il ne me reste qu’une oreille, alors j’y ai
toujours fait attention. Je n’ai jamais poussé mon système de son à son
maximum, mais l’épouse de son frère cadet, à qui j’avais prêté l’auto l’été
dernier, m’avait dit le matin suivant leur petite balade : « Ton
système de son, Claude, y é malade !! ». J’avais répondu :
« Ah oui ?, tant mieux. » et c’était resté comme ça.
Eh bien oui, mon système de son : « y
é bon en malade !! »
Je sens les vibrations dans les portes et sur
le devant du tableau de bord. La qualité du son est incroyable. On ouvre le
toit ouvrant, je tiens le volant avec mes genoux et on passe tous les deux nos
bras au travers du toit en faisant une vague. Si je me rappelle bien, c’était
« Solid as a rock » de Ashford and Simpson, une pièce musicale qui
tournait tout le temps dans notre auto à l’époque.
On se regarde. Il me sourit. Je sens comme un
courant électrique passer entre nous deux. La complicité est à son maximum. Il
est dans son élément et il peut me communiquer ses émotions par le biais de ce
morceau de musique qu’il sait apprécier et qu’il sait que j’apprécie qu’il me
l’ait choisi. Je le sens calme, ça me rassure. Il est bien.
C’est ça le bonheur ; il faut le prendre
lorsqu’il passe. Ces moments-là, qui furent nombreux lors de notre « road
trip », sont une source d’énergie dans laquelle on puise lorsque d’autres
moments plus difficiles surviennent.
On ne peut les créer à demande; on ne peut que
créer le moment, l’occasion et espérer que les deux personnes trouveront à ce
moment les mots, faciliteront les regards, pour préparer le passage des
émotions qu’on associera alors au bonheur.