samedi 10 janvier 2015

PROJET DE LOI 20 – UNE RÉFORME IMPORTANTE FONDÉE SUR LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES MÉDECINS

J'ai fait parvenir cette opinion qui porte sur le projet de loi 20 du ministre Barrette au journal la Presse le 8 janvier dernier. Contrairement à l'article précédent, le Journal m'a suggéré une version écourtée de 600 mots. Ils m'ont permis de leur suggérer ma propre version de l'opinion en 600-630 mots, ce que j'ai fait. 
Le premier texte est la version originale, le deuxième, la version écourtée. Je publierai sur mon blogue la version qui aura été imprimée


VERSION ORIGINALE

PROJET DE LOI 20 UNE RÉFORME IMPORTANTE FONDÉE SUR LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES MÉDECINS

Le projet de loi 20 constitue une réforme en profondeur de lorganisation des services de santé car il fonde lorganisation du travail des médecins sur leur responsabilité sociale et sur un processus de reddition de comptes. En effet, tous les médecins de famille devront prendre en charge un nombre minimal de patients et leur assurer un suivi adéquat au risque de s'exposer à des pénalités financières; il en va de même de certaines spécialités médicales qui devront être davantage disponibles pour répondre aux demandes de consultation en provenance des médecins de famille. Ce projet de loi représente une véritable révolution pour les médecins et explique la vigueur de lopposition de plusieurs dentre eux.
En 1995, lOrganisation mondiale de la Santé a officiellement défini la responsabilité sociale des médecins[1] : « Il est de lobligation des médecins de répondre aux besoins prioritaires en matière de santé des collectivités quils desservent. Cette définition met en évidence le fait que le rôle joué par les médecins pour combler les lacunes dans la prestation des soins et l’état de santé (des collectivités) est central à la profession. »
Or au Québec, malgré l'augmentation significative du nombre de médecins depuis 2008 (17,3% au 31 mars 2014[2]), une partie encore trop importante de la population n'a pas accès à un médecin de famille et attend beaucoup trop longtemps avant d'être vue en consultation par un médecin spécialiste. Comment expliquer ces faits ?
Depuis l'instauration du régime dAssurance Maladie en 1970, les médecins jouissent d'une très grande liberté professionnelle qui déborde largement du cadre de ce quon associe normalement au concept dautonomie professionnelle. Tout en étant payés entièrement par l’État et ayant une clientèle assurée, ils ont le statut dentrepreneurs autonomes sans lien demploi avec les organisations au sein desquelles ils travaillent. Ils choisissent eux-mêmes les secteurs cliniques dans lesquels ils pratiquent et les clientèles quils traitent. Ils déterminent eux mêmes leurs conditions de travail, leurs horaires, leurs vacances et leurs congés. Cette liberté, associée aux incitatifs inhérents à la rémunération à lacte et à la hausse substantielle du revenu moyen brut des médecins au Québec depuis 2008 (37% à $309,689[3]), a entraîné une diminution importante du nombre moyen de jours travaillés dans une année (117 jours) soit 19,2 jours de moins pour un médecin de famille de 1999 à 2012[4]. C'est la situation que le ministre Barrette tente de corriger.
La fédération des omnipraticiens (FMOQ) et plusieurs médecins de famille réagissent actuellement très négativement au projet de loi. Dans une publicité largement diffusée, ils soutiennent quils devront dorénavant travailler à la chaîne, que les patients ne seront que des numéros, que les quotas sont irréalistes, que le projet de loi favorise la quantité de patients au détriment de la qualité, etc... Est-ce donc là le lot de 40%[5]  dentre eux qui prennent actuellement en charge un nombre plus élevé de patients que le nombre minimal suggéré dans le projet de loi ? La FMOQ ne craint-elle pas plutôt l'atteinte à la liberté professionnelle de ses membres ? Or c'est justement cette liberté professionnelle qui a engendré la situation actuelle. La pratique de la profession doit dorénavant être mieux encadrée.
L'expérience des 45 dernières années au Québec a démontré que dans la poursuite de ses objectifs de santé prioritaires, le Ministre de la Santé ne peut réussir uniquement par des incitatifs financiers à coordonner le travail de professionnels autonomes payés à 100% par l’État, dans un contexte de rémunération à lacte. Il doit dorénavant fixer les objectifs à atteindre et imposer des pénalités lorsque les médecins ne participent pas à latteinte des objectifs de santé quil a fixés : cest la base même du nouveau contrat social entre l’État et les Médecins et lenjeu principal de ce projet de loi 20.
Cependant, le Ministre devrait dès maintenant calmer le jeu en faisant d'abord amende honorable envers les médecins de famille, et en affirmant sa foi dans leur rôle, lui qui, lorsqu'il était président de la Fédération des Médecins Spécialistes, a manifesté à quelques reprises un certain mépris pour cette spécialité de la médecine.
Le ministre devrait également sans tarder proposer des accommodements applicables à ceux qui consacrent la majorité de leur pratique à des secteurs prioritaires de notre système de santé comme entre autres, lenseignement, l'obstétrique, la santé mentale, les soins aux personnes âgées porteuses de pathologies débilitantes, les soins palliatifs, les tâches administratives importantes au sein du réseau public, etc. Les droits et privilèges relatifs aux congés de maternité et parentaux devraient être les mêmes que ceux des autres professionnels des différents réseaux publics du Québec et non pas  être définis par les médecins eux-mêmes. Finalement, les modalités concernant le calcul du « taux dassiduité » des patients devraient également être rapidement précisées; lincertitude entourant cette partie du projet de loi soulève beaucoup de résistance. Ces assouplissements et ces précisions rendraient sans doute le projet de loi plus acceptable pour la majorité des médecins.

Claude Poirier, MD, M.Sc.
Ex Directeur des services professionnels du CHUQ
Chargé denseignement clinique, Faculté de médecine, Université Laval



[1] Boelen C, Heck JE. Defining and measuring social accountability of medical schools. Genève, Suisse: Organisation mondiale de la Santé; 1995.
[2] Rapports annuels du Collège des Médecins 2008 et 2014
[3] Huffington Post, 10 décembre 2014
[4] RAMQ
[5] RAMQ

VERSION ÉCOURTÉE

PROJET DE LOI 20 UN APPEL À LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES MÉDECINS

Ce projet de loi fonde lorganisation du travail des médecins sur leur responsabilité sociale et il introduit un processus de reddition de comptes. Cest une véritable révolution et cela explique la vigueur de lopposition de plusieurs dentre eux.
La responsabilité sociale des médecins a été définie par lOMS en 2005 : « Cest lobligation des médecins de répondre aux besoins prioritaires en matière de santé des collectivités quils desservent. Ce rôle est central à la profession. » [1]
Or au Québec, malgré l'augmentation significative du nombre de médecins depuis 2008 (17,3% depuis 2008)[2], une partie encore trop importante de la population n'a pas accès à un médecin de famille et attend beaucoup trop longtemps avant d'être vue en consultation par un spécialiste. Comment expliquer cela ?
Depuis 1970, les médecins jouissent d'une très grande liberté professionnelle. Tout en étant payés entièrement par l’État et ayant une clientèle assurée, ils ont le statut dentrepreneurs autonomes au sein des organisations dans lesquelles ils travaillent. Ils choisissent les secteurs cliniques et les clientèles quils désirent traiter. Ils déterminent eux mêmes leurs conditions de travail, leurs horaires, leurs vacances et leurs congés. Cette liberté, associée à la hausse substantielle du revenu moyen brut des médecins au Québec depuis 2008 (37% à $309,689[3]), a entraîné une diminution importante du nombre moyen de jours travaillés dans une année[4]. C'est la situation que le ministre Barrette tente de corriger.
La fédération des omnipraticiens (FMOQ) et plusieurs médecins de famille réagissent actuellement très négativement au projet de loi. Pourtant, 40%[5]  dentre eux prennent actuellement en charge un nombre plus élevé de patients que le nombre maximal suggéré dans le projet de loi. La FMOQ ne craint-elle pas plutôt l'atteinte à la liberté professionnelle de ses membres ? Or c'est justement cette liberté professionnelle qui a engendré la situation actuelle. La pratique de la profession doit dorénavant être mieux encadrée.
L'expérience des 45 dernières années au Québec a démontré que dans la poursuite de ses objectifs de santé prioritaires, le Ministre de la Santé ne peut réussir uniquement par des incitatifs financiers à coordonner le travail de professionnels autonomes payés à 100% par l’État, dans un contexte de rémunération à lacte. Il doit dorénavant fixer les objectifs à atteindre et imposer des pénalités lorsque les médecins ne participent pas à latteinte des objectifs de santé quil a fixés : cest la base même du nouveau contrat social entre l’État et les Médecins et lenjeu principal de ce projet de loi 20.
Cependant, le Ministre devrait dès maintenant calmer le jeu en faisant d'abord amende honorable envers les médecins de famille, et en affirmant sa foi dans leur rôle, lui qui, lorsqu'il était président de la Fédération des Médecins Spécialistes, a manifesté à quelques reprises un certain mépris pour cette spécialité de la médecine.
Le ministre devrait également sans tarder proposer des accommodements applicables à ceux qui consacrent la majorité de leur pratique à des secteurs prioritaires de notre système de santé comme entre autres, la santé mentale, les soins aux personnes âgées, les soins palliatifs, lenseignement, etc. Les modalités concernant le calcul du « taux dassiduité » des patients devraient également être rapidement précisées; lincertitude entourant cette partie du projet de loi soulève beaucoup dinquiétudes. Ces assouplissements et ces précisions rendraient sans doute le projet de loi plus acceptable pour la majorité des médecins.

Claude Poirier, MD, M.Sc.
Ex Directeur des services professionnels du CHUQ
Chargé denseignement clinique, Faculté de médecine, Université Laval


[1] Boelen C, Heck JE. Defining and measuring social accountability of medical schools. Genève, Suisse: Organisation mondiale de la Santé; 1995.
[2] Rapports annuels du Collège des Médecins 2008 et 2014
[3] Huffington Post, 10 décembre 2014
[4] RAMQ
[5] RAMQ

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